Rapport au travail et modèles de sociétés

Aborder un point très lourd de conséquences : la question du rapport au travail et des nouveaux modèles de société.

Nous pouvons dire, et ce n’est pas rien, qu’avec l’Intelligence Artificielle, il n’y aura pas, dans le futur, suffisamment de travail salarié pour assurer le revenu des êtres humains, que plus de la moitié des emplois, tels que nous les connaissons aujourd’hui, auront probablement disparu, dans tous les secteurs d’activité, d‘ici une quinzaine d‘années.

Donc, nous pouvons bien l’imaginer, il va devenir absolument nécessaire, au niveau global de la société, de proposer, d’une manière ou d’une autre, de nouvelles sources de revenus, autres que la rémunération du travail salarié, pour permettre à tout un chacun, partout, de vivre décemment.

Vous en avez sans doute entendu parler, on réfléchit depuis quelque temps, en Finlande, au Québec, en Californie, en Suisse, et en France par l’intermédiaire du Conseil National du Numérique, à l’idée de mettre en place un revenu universel, qui serait bien plus qu’un simple revenu minimum d’insertion ou un simple minimum alimentaire. C’est l’idée, puisque l’offre de travail salarié ne sera plus disponible en quantité suffisante, de redistribuer une partie de la richesse produite par l’automatisation et maintenant la robotisation, pour permettre à chacun de vivre correctement, tout en laissant la liberté à ceux qui en feront le choix de vie de compléter ce revenu universel par un revenu additionnel issu d’une activité rémunérée.

C’est l’idée d’aller un cran plus loin dans l’esprit des grandes réformes sociales qui ont marqué le 20ème siècle avec la mise en place des systèmes de congés, de retraite et d’assurance maladie, en permettant progressivement à l’individu de s’affranchir du travail au sens du labeur (latin : labor) pour lui permettre de se consacrer au travail en tant qu’œuvre (latin : opus), du travail en tant qu’activité créatrice, du travail en tant que contribution désintéressée au bien-être collectif.

D’où la nécessité, qui donne lieu aujourd’hui à de nombreuses réflexions, de repenser collectivement les modèles économiques et sociaux, au-delà des modèles que nous connaissons depuis de nombreuses décennies, au-delà du capitalisme industriel ou post-industriel, que nous devrons dépasser d’une manière ou d’une autre, pour imaginer de nouvelles formes d’activités qui soient valorisantes pour les individus.

Dans dix ans, n’en doutez pas, le visage des entreprises sera totalement différent.

Dans le même temps, tous ces bouleversements s’amorcent d‘ores et déjà, vous pouvez l’observer, avec de nouvelles formes d’interaction, très fluides, qui émergent par l’intermédiaire des plates-formes digitales

Des plates-formes, qui captent et créent de la valeur, grâce à des circuits de distribution très courts, qui agissent dans une relation de proximité très forte avec un très grand nombre d’utilisateurs finaux, qu’on appelle aussi tout simplement la multitude. Lisez cet ouvrage très lumineux, L’âge de la multitude, de Nicolas Colin et Henri Verdier.

Et des plates-formes, comme Uber, on parle d’ubériser l’économie, d’ubériser la politique, d’ubériser Uber, qui désintermédient les entreprises et les activités traditionnelles en s’associant directement avec cette multitude. Et, n’en doutez pas, cette tendance ne va aller qu‘en s’accélérant.

Par ailleurs, toutes ces évolutions s’accompagnent dans le même temps, vous l’observez de plus en plus autour de vous, de nouvelles attentes de la société, en faveur de nouvelles formes de relations, plus horizontales.

Tout d‘abord, vers plus de collaboration. On parle depuis quelque temps de la montée de communautés collaboratives et de la société collaborative. Lisez cette fois Jeremy Rifkin, et son dernier ouvrage, La nouvelle société du coût marginal zéro.

Puis, pour aller plus loin, vers plus de partage, avec la mise en commun de ressources de toute nature, conduisant à une économie plus respectueuse des hommes et de l‘environnement.

Ce que l’on peut souligner en résumé, c’est que l’idée d’ouverture sera certainement la clé du monde à venir.

Les plus jeunes, et la jeunesse vous le savez n’est pas qu’une question d’âge biologique (!), aspirent à l’ouverture et à la construction d‘un nouveau monde. Les nouvelles générations ne se posent pas de question. Elles préfèrent, comme on dit, j’aime bien cette expression, hacker les entreprises par la base, en introduisant, non pas nécessairement une vision innovante, mais plus concrètement, très concrètement, des pratiques innovantes.

II y a aujourd’hui, vous pouvez l’observer autour de vous, de la part des plus jeunes, mais pas seulement, une formidable quête de sens et une aspiration considérable pour faire bouger les entreprises et la société dans son ensemble.

Evoquons aussi un autre point. De nouvelles attitudes managériales seront bien sur nécessaires, pour accepter l‘idée même d‘ouverture, mais aussi pour passer, à l’exception d’activités bien spécifiques comme celles liées à la maîtrise des risques, de modèles basés sur le contrôle, à des engagements fondés sur la confiance.

Un dernier commentaire à propos de l’idée d’ouverture.

Souvent nous disons, en guise d’incitation, aux personnes que nous avons l’occasion ou la chance de rencontrer comme vous aujourd’hui : sortez, sortez de l’entreprise un jour par semaine ! Sentez-vous libres d’aller à la rencontre du monde et des autres, à la rencontre d’autres personnes dans d’autres activités, simplement pour comprendre ce qui se passe à l’extérieur, pour comprendre le foisonnement du monde, découvrir d’autres formes de pensées, de nouveaux savoirs et savoir-faire.

Car prenez le temps d’y penser : permettre aux collaborateurs de s’adapter, en se tournant, en regardant vers l’extérieur, est très certainement le meilleur moyen que peut se donner l‘entreprise, en tant que collectivité humaine, pour s’adapter à l’évolution de son environnement.

Vous le voyez, les mutations et les métamorphoses en cours, à toutes les échelles de la société, et qui vont être fortement accélérées avec l’Intelligence Artificielle, nous amènent naturellement à nous poser des questions majeures autour des enjeux de société.

Et ces questions se résument finalement à quelques formulations simples, comme : à quelle société voulons-nous participer et contribuer ? De quelle société rêvons-nous? Et de manière peut-être encore plus large, plus ouverte, pour le dire rapidement, en reprenant une expression formulée la première fois par Jacques Robin, le fondateur du Groupe des dix : Quel monde voulons-nous réenchanter ?

Janvier 2016